Fête de trop

C’était un moment étrange, gênant et silencieux mais pas si malheureux. On avait peut-être bien fait de pas l’avoir fait. Pour laisser place aux « paroles ». Celles qu’on avait plus échangé depuis ces derniers mois. Sans rien de plus que nos silences. Rhabillés, sortis de la salle de bain et déjà dehors de l’appartement qui nous avait accueillis. On avait le regard fuyant, le pied lent mais il y avait ce silence salvateur comme fond. Un oxygène bienvenu pour apaiser les esprits. Je n’aurais pas su dire si je me sentais bien, ni vraiment mal. Il me fallait du temps. Pour prendre le recul que je n’avais pas eu pour voir tout ce qui semblait l’avoir dévoré tout ce temps. J’avais été doué pour percevoir les émotions des autres mais jamais quand elles me concernaient. Et Rafael n’appartenait pas aux standards des personnes avec lesquelles je sortais. Il n’avait ni seins, ni hanches, ni cheveux longs, et aucuns des codes avec lesquels j’avais fonctionné ne pouvait lui être appliqué.

En autre j'étais comme un gosse qui enchainait les faux pas. Peu importe qu’on ai été doué en séduction par le passé, au devant de ce genre d'émotions on était tous égaux. Désemparés et incapable de savoir LA solution miracle pour faire en sorte que ça marche. Un coup il m’avait rejeté, un coup il m’avait reprit pour au final me dire ces fameux mots. Angoissant et pourtant si bons. Je lui lançais quelques regards en coin sur le chemin du retour, comme pour chercher la réalité de toute cette soirée, puis me perdait dans la contemplation de la rue, la clope aux lèvres.

Une fois à l’appartement du mexicain je me débarrassais de quelques couches avant de le suivre dans la cuisine, et d’accepter la bière qu’il me tendait, le regard fixé sur lui. Revenir ici me rendait un peu nerveux, les lieux portaient son odeur et me serraient le coeur. Je tournais la tête vers Rafael qui s’excusa tout à coup et je le dévisageais de plus belle. Rafael n’avait jamais eu l’habitude de s’excuser avant et ça me surprenait.

Je resserrais mes doigts sur la bière que je tenais, baissais un peu la nuque avant de secouer la tête.

— Ouai c’est… rien.

Ça n’avait pas été rien mais on avait pas besoin de dramatiser le tout. Il nous fallait de l’air, souffler et arrêter de trop réfléchir. J’avais pas besoin qu’on s’épanche dans de longues discussions à propos de tout ça parce que c’était du passé. J’avais plus de rancune particulière pour les traitements que j’avais reçu, à part pour cette claque qu’il m’avait mise. Je bus une gorgée de bière néanmoins et la reposait sur le bord de la table pour venir face à lui comprenant également son besoin de parler après toutes ces baises. J'avais sans doute du l'intimider plusieurs fois avec les habitudes qu'on avait prit sans parler de tous ces défis silencieux qu'on avait eu .

—On a assez fait dans la demi-teinte hein ?

Je penchais le visage.

— J’ai pas besoin que tu te justifies on est tous ce qu’on est, j'ai aussi mes tords… Mais…

Je plissais les yeux dans les siens.

— Va falloir que tu sois plus précis.

Je souriais à demi-mots.

— Tu veux dire quoi par continuer comme avant ? Comme avant quand on fait que baiser depuis des mois sans rien partager de plus que du plaisir ou.… devenir ma femme ?

Ma lèvre se relevait, taquine. Je le piquais mais je voulais plus tourner en rond. Il nous fallait être clair une bonne fois pour toute. Qu’il dise s’il voulait que j’sois sien, et inversement. Au moins par les mots si c'était pas par nos corps. Je penchais le visage vers le sien les yeux demi-clos pour chercher sa proximité, la chaleur de ses yeux bicolores. Avide de pouvoir le toucher, d'admirer le contour de son visage.

Une dernière fois, pour ne plus être dans le brouillard je murmurais.

— Être… ensemble ?

Je levais une main vers la sienne pour presser sa paume, la masser du bout du pouce, le souffle lent et calme et ramenais l'autre dans son dos pour le rapprocher, chercher ses formes fermes et pleines.

— Parce que si c'est ça, là l'instant, je veux bien essayer.

Encore une fois dans ma vie. Partir à l'aveuglette, tenter de changer pour devenir meilleur, et oublier ce qui m'avait animé durant 28 ans de ma vie pour qu'il fasse partie de ce renouveau de tous les jours. Avec Khaï et Angel. Lui donner une place dans ma vie, et… dans mon coeur.

Rafael était pendu à ses lèvres comme si le moindre mot pouvait tout faire basculer. Il faisait mine d'être détaché, ou tout du moins plus qu'il ne l'était, tandis que son cœur battait à tout rompre, relancé à chaque pas que Khor faisait dans sa direction. Car sans trop savoir où tout ça pourrait les mener, il y avait toujours cette crainte paralysante qui le surprenait dans ces moments, là où pourtant ça ne devrait être que le commencement. Depuis combien de temps quelqu'un ne lui avait pas fait ressentir cela d'ailleurs ? Cette sensation de tout jouer à la seconde, d'une sorte de soumission de sentiments, où comme à la roulette russe une mauvaise balle pouvait leur être fatale.

C'était bien la preuve d'à quel point il l'aimait. Parce que lorsqu'ils se faisaient face, au pied du mur ensemble, c'était là que le wolf se sentait le plus vulnérable. L'angoisse de le perde se faisait plus prenante, mêlé à un désir de lui à lui en broyer les entrailles, à ne plus être lui. Et cette fois ci il laissait les choses faire jusqu'au bout. Il leur laissait le temps d'en discuter, quitte à s'effrayer lui-même et se développer ces impressions nauséeuses.

Sauf que durant tout temps, à fuir ce qu'était cette évidence qu'ils affrontaient enfin ce soir, ça avait été aussi le risque de pas vivre tout ce qui en découlerait de bon. Comme à cet instant, où plus le regard du brun reflétait le sien, plus Rafael se sentait fondre, serein.

Il ne put cependant retenir un « J't'emmerde » à la moquerie de son amant. Il est vrai qu'il avait du paraître si ridicule avec ses questions de virilité mal placée, ou de jugement pleins d'oublis, et il ne se serait pas privé d'en rire lui non plus si le contexte n'avait pas été contre lui. A moins que ce soit la proximité de l'être aimé qui le rende distrait ? Le parfum de Khor avait toujours eu le don de lui donner ce petit vertige lorsqu'il revenait emplir ses poumons, puis son touché et sa chaleur finissaient par l'achever. Il ne désirait plus l'écouter, non. Il le désirait lui, de sa poigne contre son dos à ses lèvres qui le rassuraient. Par tous les moyens, il n'avait qu'une envie : le faire sien. Officiellement, de corps et de mots.

« Je veux essayer aussi »

La voix grave, sa phrase n'aurait pu être plus vibrante de promesses. Il leva la main vers le coin de la mâchoire rasée de près, l'encerclant de la paluche tachée et tatouée pour glisser les doigts vers sa nuque puis mieux l'inviter à franchir les quelques millimètres qui les séparaient. Par la douceur de ce baiser, Raf' sentit en lui se lever tous ses doutes et toutes ses craintes. Il ne voyait plus qu'eux deux, leur avenir, les moments passés, un quotidien avec leurs fils et des rendez-vous réguliers et assumés...

Bon sang, qu'il l'aimait ce con.

A en oublier ce qu'ils étaient, à ne pas avoir peur de ce que pourraient en penser les autres, à se perdre dans ses bras, le laisser le manipuler.

Le tout avec la satisfaction que Khor le voulait aussi.

Ensemble, ils allaient essayer.

Ses doigts se perdirent dans les racines basses de sa chevelure sombre. Probablement qu'il s'emportait, mais heureusement pour eux il n'avait plus rien à dire de plus pour les interrompre. Il se sentait léger, tel un calme doux après une succession de nombreuses tempêtes. Puisque le baiser se faisait de plus en plus passionné, il se recula le premier pour susurrer au bord de ses lèvres mouillées :

« Allons nous coucher, amor ? »

Et ce que voudrait alors son amant ne dépendrait plus de lui. Lui qui déjà se sentait terriblement excité. En se reculant pour se rendre vers la chambre, il fit d'ailleurs preuve de son étourdissement de crétin amoureux en se cognant au meuble de cuisine dans son dos, tellement perdu qu'il en avait presque oublié où il était positionné.

Il le voulait lui aussi ! Un large sourire aux lèvres je passais une main sur sa joue, souriait, les yeux collés à ces lèvres qui me délivraient toujours leur sentence tantôt avec tendresse, tantôt avec violence. Elles étaient toujours si cruellement douces, capable du pire comme du meilleur. Je les avais toujours redoutées, elles et ce quelles étaient capable de dire. Capable de faire. Mais, le contact de ses mains, l’entrain de ses mots et le ton de sa voix avaient eu raison de moi. La joie avait prit le pas sur le reste et peu importe que nous avions été emmerdé plus tôt, j’oubliais déjà la saveur amère de nos précédents échanges. La présence de sa chaleur, et les caresses de ses doigts encourageant sans le savoir l’envie de pouvoir partager bien plus qu’un simple baiser et je me lançais à corps perdu dans ce baiser à la saveur d’amour. Meilleur que tous les autres.

Nos pulpes étaient maladroites, pressées par la joie de ce qu’on venait peut-être enfin de conclure et je fermais les yeux en me laissant bercer par le rythme qu’il imposait, presque surpris de le sentir reculer, le souffle encore court. Je me sentais vivant, fébrile et pressé, pressé de bruler toutes les étapes pour en avoir toujours plus, et si ses mots m’avaient refroidit, je ne voyais désormais plus que mon envie de recommencer aussitôt, de ne pas perdre une seconde sinon que celles qu’on allait avoir à l’avenir.

Consommer Rafael, l’aimer, et ne plus le quitter. Ne plus lui imposer de distance mais simplement ma présence, au quotidien. Hochant la tête de son invitation à poursuivre dans un lieu plus intime, je répétais encore d’une voix chaude.
— Si tu peux dire qu’on va encore dormir…
Puis lui emboitais le pas souriant bêtement de sa maladresse lorsqu’il se cogna, trouvant ça mignon d’une certaine façon, et me sentant probablement aussi maladroit que lui. La seule différence d’avec les premières fois c’est que je connaissais le corps de Rafael, ses zones érogènes et chacune des réactions que je pouvais lui soutirer.

Sans attendre, je lui saisissais le bras pour me retrouver face à lui, décidé à passer aux choses sérieuses. Je pris le temps de le regarder dans les yeux, calmait les battements étourdis de mon coeur pour me concentrer sur lui. Front contre front, j’entrepris de le déshabiller, relevant mes doigts sous son t-shirt que j’emmenais dans mon sillage. Nerveux de part l’état dans lequel il me mettait, je débouclais la ceinture de son pantalon que je fis tomber, lui laissant le loisir de faire de même si tel était son envie, l’y invitant même du regard. Une fois nu, je levais quelques doigts sur sa nuque si sensible, le regard ancré sérieusement dans le sien.Le voir nu sous mes yeux était une torture car le désir qu'il m'évoquait par les simples lignes de son corps masculin me faisait tourner la tête et rompre les battements brulants de mes entrailles.

Cette fois, sauf s’il m’en empêchait une nouvelle fois, plus rien ne m’arrêterais.